Au Japon, c’est dans le ciel de Fukushima, un jour de l’année 2011, que les nuages ont pris la forme hybride de la catastrophe naturelle (tsunami) et du péril atomique (centrale dévastée), provoquant l’évaporation de l’idée même de progrès. Est-ce le seul sens que nous pouvons donner à l’histoire ? Ou bien l’esprit – les esprits, les spectres – peuvent-ils nous plonger dans une indétermination du temps qui transforme notre capacité d’être ?
L’oeuvre photographique de Pierre-Elie de Pibrac résulte d’un long voyage dans la péninsule, marquée par cette conscience malheureuse dont les Japonais sont les acteurs, à la manière de sentinelles à l’ère de l’anthropocène. Est-ce là un voyage en forme de fable ? La pratique et l’esthétique photographiques de Pierre-Elie de Pibrac conjuguent l’obsolescence d’un art de l’image technique et celle de l’humanité tout entière.
Michel Poivert, extrait de l’ouvrage
Poursuivant son travail photographique sur la résilience, Pierre-Elie de Pibrac se rend au Japon en 2020, un pays qui a connu le tsunami de Fukushima et où les habitants se livrent peu sur leurs émotions, leurs inquiétudes psychiques et intimes. Il sillonne alors le pays et part à la rencontre de personnes dont le destin a été bouleversé suite au séisme. Le photographe réalise des portraits à la chambre, en lumière naturelle, telles des images mentales racontées par les sujets eux-mêmes et imaginées par l’artiste. Ces scènes en couleur, où le temps semble suspendu, sont ponctuées d’images en N&B évoquant la nature et l’impermanence des choses. Un essai de Michel Poivert explore ce corpus en faisant le lien entre l’obsolescence du médium photographique et celle de nos sociétés modernes, le Japon se situant au coeur des dérives de l’anthropocène. Le musée Guimet présente à l’automne une exposition de ce travail.
Hakanai Sonzai
Deuxième volet de sa recherche sur la résilience, Hakanai Sonzai prolonge l’expérience photographique menée en immersion en 2016 à Cuba, lorsque Pierre-Elie de Pibrac saisit le quotidien des populations ouvrières de l’industrie du sucre délaissées suite à la fin de l’utopie castriste. Pour cet ouvrage, à nouveau publié avec l’Atelier EXB, Pierre-Elie de Pibrac est parti à la rencontre des habitants du Japon et notamment de la région de Fukushima, zone encore empreinte des traces du terrible séisme.
Pays où la pression sociale et l’exigence du paraître influent fortement sur l’identité de la personne, mais aussi territoire soumis aux forces aléatoires de la nature, avec ses séismes terrestres et marins récurrents, le Japon a développé depuis des siècles le concept de Mono no Aware, une sensibilité pour l’éphémère, une perception aiguë de l’impermanence des choses. Le titre de l’ouvrage Hakanai Sonzai y fait référence par cette traduction : « je me sens moi-même une créature éphémère ». Ainsi, au fil des pages d’un livre, qui se déploie tel un album de grand format, le lecteur pénètre lentement dans l’intimité de femmes, d’hommes et d’enfants, qui lentement deviennent des « personnages ». Réalisés à la chambre – mode de prise de vue hérité des origines de l’invention du médium –, leurs portraits résultent de rencontres durant lesquelles, à rebours du geste furtif du reporter, tous se sont livrés sur leur histoire personnelle, leur fragilité, leurs inquiétudes existentielles. Leurs visages semblent, au premier abord, emprunts d’une même impénétrabilité. Mais pour qui prend le temps de les regarder, chacun révèle sa singularité. Peu à peu s’esquisse alors une galerie de portraits universels qui expriment la fuite du temps, la difficulté d’être au monde, une certaine mélancolie.
Ponctuées de portfolios de paysages urbains en noir et blanc imprimés sur un différent papier, les images de Pierre-Elie de Pibrac, toutes réalisées dans des décors et en lumière naturels, nous immergent dans la culture japonaise. Elles parlent de l’obsolescence et donnent à voir la fragile beauté de notre condition humaine.
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